Chronique #10 (06 novembre 2020)


Nous avons eu des mots

Les mots sont des clefs qui nous dessillent, qui donnent du sens aux situations et à nos actions. Sens dans ses deux acceptions de signification et de direction (encore faudrait-il s’émerveiller du fait que sens désigne aussi ce qui nous permet de percevoir).
La précision et le caractère évocateur de la langue française constituent un formidable instrument de travail pour le médiateur :
  • Comment ne pas remarquer la proximité du différent et du différend, qui pointe le fait que c’est dans ce qui nous distingue que s’alimente la discorde ?
  • Intéressant glissement sémantique que cette progression imperceptible du malentendu vers la mésentente, deux mots qui semblent constitués sur un même plan et qui font apparaître combien l’incompréhension entre deux êtres recèle un germe de conflictualité ;
  • Ne voit-on pas combien le mot réplique est approprié pour exprimer une réponse qui comporte une intonation, si ce n’est une intention, péremptoire à un propos qui nous est tenu, quand ce terme définit également la secousse qui fait suite à un séisme et en aggrave les conséquences ? Pareillement, si l’énoncé d’un propos peut être blessant pour celui à qui il est destiné, la réplique que celui-ci y apporte ne fait qu’accroitre le dissentiment ;
  • Et pour un médiateur, quel cadeau que l’écoute soit aussi ce cordage qui permet de régler la voile pour optimiser la marche du bateau sur lequel on est embarqué…
  • Tout cela sans parler des homophonies telle que celle qui existe entre cette magnifique expression « nous avons eu des mots » et « nous avons eu des maux », et qui exprime clairement combien les paroles prononcées peuvent être cause de souffrance.
Ainsi les nuances, les analogies, la polysémie de certains termes offrent une profusion de possibilités de reformulation qui permettent de décaler le sens de quelques degrés, une mine qui permet de « paraphraser », ainsi que le recommande Marshal Rosenberg, si l’on sait exploiter les potentialités de la langue. C’est pourquoi il est si difficile de pratiquer la médiation dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, car on ne dispose pas d’une palette de vocabulaire aussi riche.
On y parvient cependant, en se concentrant sur une qualité de présence. Paradoxalement, deux grandes qualités du médiateur sont ainsi sa propension à choisir avec soin les mots dont il use, et sa capacité à ne faire usage d’aucun mot.

Bertrand DELCOURT, Président

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