Chronique #04 (01 avril 2021)


«Se connaître à nouveau»

Les exemples de polysémie abondent dans notre langue. Cette particularité est tout à la fois cause de malentendus à l’origine de discordes -parce que le sens qu’un locuteur confère au mot qu’il emploie n’est pas nécessairement le même que celui que son auditeur lui accorde, et matière à réflexion en médiation – parce que le travail de clarification constitue l’une des premières étapes du processus. Comme si la polysémie était en même temps le poison et l’antidote.
Les termes « reconnaissance » et « reconnaître » en sont de parfaits exemples. Tandis que la formule « j’éprouve de la reconnaissance pour ce qu’il a fait » traduit le sentiment de gratitude, la proposition « j’ai besoin de reconnaissance » évoque tout autre chose : la considération. L’utilisation du même terme renvoie à des registres très différents qui peuvent eux-mêmes être déclinés de façon nuancée. Être « reconnu », c’est aussi apparaitre, voire paraître. On veillera, en médiation à prendre conscience des connotations diverses d’un tel mot polysémique, ce qui ne signifie pas que l’on se gardera de les utiliser, bien au contraire.
« Est-ce que vous reconnaissez que… » ? Cet emploi du verbe « reconnaître », qui évoque irrésistiblement le cabinet d’un juge d’instruction, est à proscrire en médiation. Parce que dans cette acception, le terme « reconnaître » possède un sens voisin de « admettre », qui est lui-même proche de « se rendre à l’évidence », alors qu’on ne vient pas en médiation pour « se rendre », pour capituler. Ainsi usité, « reconnaître » est également proche de « tomber » d’accord. Tiens, tiens ; parvenir à un accord produirait donc l’effet d’une chute ?
« Je me suis reconnu dans ce qu’elle a dit de moi ». Au sens de « identifier », « reconnaître » participe aussi de la perception, ou de l’attribution d’une identité. « Au travers de ses propos, je me suis vu comme je pense que je suis, et pourtant c’est une autre que moi qui le disait ». La « reconnaissance » serait cette fois le résultat d’une paraphrase, d’une reformulation, si chère à notre pratique. Si je me « re-connais » dans ce que l’autre dit de moi, c’est que je me « connais à nouveau » au travers de son regard. Nous sommes cette fois au cœur du processus de médiation.

Bertrand DELCOURT, Président

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